Inquisition
L'Inquisition était une juridiction spéciale de l'Église catholique romaine chargée de lutter contre l'hérésie. Elle fut fondée en 1231 par Grégoire IX.
Il convient de distinguer trois différentes Inquisitions :
La lutte contre les hérésies, avant l'institution de l'Inquisition, était confiée aux évêques pour la recherche et au juge séculier pour la punition. Les décrets du concile du Latran III (1139) constituaient les premiers éléments de législation pontificale. Ils furent appliqués lors de la croisade contre les Albigeois. C'est l'Empereur qui choisit en 1224 d'appliquer la peine du feu, décision reprise par Grégoire IX en 1231. Ces dispositions bientôt ne suffirent plus : le pouvoir des évêques restait limité à leur diocèse.
L'Inquisition eut pour but de pallier les déficiences des tribunaux épiscopaux. C'était une juridiction spéciale et permanente. Elle était affranchie de l'autorité des évêques. Son seul but était la défense de la foi catholique. Créée pour lutter contre les Vaudois et les Cathares, elle s'étendit ensuite aux autres hérésies, puis à la sorcellerie en tant que survivance du paganisme et au blasphème.
Pour parvenir à ses fins, elle disposait de la procédure inquisitoire. Celle-ci, définie par la décrétaleLicet Heli (1213), permettait de poursuivre une personne sur simple soupçon, sans dénonciation ou accusation publique préalable. Ces dispositions furent confirmées par Latran IV (1215) et approuvées par les autorités civiles des différents pays concernés : Frédéric II, Louis VIII, Blanche de Castille ou encore le comte de Toulouse. L'Inquisition se déploya dès les années 1230. En 1231, Conrad de Marbourg fut désigné pour l'Empire, mais ses excès ruinèrent le crédit de la nouvelle institution. En 1232, elle s'étendit en Aragon puis en 1233 en France et à partir de 1235, en Italie.
Le tribunal inquisitoire possédait le plus souvent un siège fixe. Les inquisiteurs travaillaient par deux, avec des compétences égales. Ils étaient choisis généralement parmi les franciscains ou les dominicains. Ils étaient assistés d'un personnel nombreux : clercs, tels les notaires, et greffiers, geôliers, etc. Les inquisiteurs réguliers vivaient en marge de la vie conventuelle, ce qui occasionna souvent des tensions entre eux et leur ordre d'origine.
Les deux procédures les plus courantes étaient la citation individuelle et l'enquête générale. La citation individuelle se faisait par le biais du curé. L'enquête générale était proclamée dans une région entière. Dans les deux cas, ceux qui refusaient de comparaître se trouvaient excommuniés. En compensation, ceux qui se présentaient en temps et en heure étaient censés n'encourir que des peines légères (voir ci-dessous). Un suspect devait jurer de révéler tout ce qu'il savait sur l'hérésie. Un notaire transcrivait tous les débats. Pour obtenir des informations, les juges pouvaient avoir recours à des délateurs, à de faux témoins, à l'incarcération ou encore, à partir de 1252 (bulle Ad extirpendam), à la torture — sous réserve de la mutilation définitive des membres, afin de préserver le corps appelé à ressusciter.
Des protections étaient accordées aux accusés, comme aux témoins. Ainsi l'identité des témoins à charge était tenue secrète. En revanche, les accusés étaient autorisés à fournir une liste des personnes susceptibles de leur en vouloir, lesquelles étaient alors récusées comme témoins.Le tribunal acceptait des témoignages qui auraient été rejetés dans d'autres circonstances : voleurs, prostituées, personnes de mauvaise vie. La présence d'un conseil pouvait être refusée. Même les papes, Clément V par exemple, finirent par s'en émouvoir, en vain. En 1297, Philippe le Bel lui-même se plaignit de la violence des tortures infligées, ce qui ne l'empêcha pas ensuite de faire torturer les Templiers. Un suspect innocenté un temps pouvait de nouveau être appelé à comparaître plus tard. L'Inquisition jugeait même des cadavres, qui étaient déterrés et brûlés si le mort était reconnu coupable.
Le tribunal inquisitoire n'infligeait pas de peines à proprement parler, mais des « pénitences ». Les moins graves étaient appelées « pénitence arbitraire ». C'étaient la fustigation publique au cours de la messe, les visites aux églises, les pèlerinages, l'entretien d'un pauvre, le port de la croix sur les vêtements, etc. En revanche, les hérétiques qui ne s'étaient pas présentés dans les délais encouraient la prison à vie, bien que la peine fût souvent réduite par la suite. La prison connaissait deux modes possibles : le « mur étroit » (réclusion solitaire) et le « mur large », comparable à une résidence surveillée. Le relaps ou l'obstiné, qui refusait d'avouer son crime, était abandonné à l'autorité séculière, qui le condamnait au bûcher. La peine était exceptionnelle. L'inquisiteur Bernard Gui n'en prononça que 40 dans sa longue carrière. La peine du feu permettait de ne pas laisser de relique aux partisans du condamné.
Le XIII e siècle vit l'apogée de l'Inquisition. En France, elle mit fin à l'hérésie cathare, malgré beaucoup de difficultés comme le massacre d'Avignonnet où Guillaume Arnaud, Étienne de Narbonne et leurs compagnons furent assassinés. En 1244, la chute de Montségur sonna le glas du catharisme. Entre 1250 et 1257, l'Inquisition menée par Robert le Bougre ratissa les campagnes, brûlant 21 personnes et en condamnant 239 au mur étroit. En 1273, la cité-État de Sermione fut accusée de cacher un évêque cathare. Deux cent de ses habitants furent envoyés au bûcher. Toutefois, le dernier cas de catharisme enregistré fut le cas de Pierre Autier, brûlé en 1310. En Italie, l'Inquisition revint plutôt aux franciscains. Là encore, les juges rencontrèrent des difficultés : l'un d'entre eux fut assassiné. C'était Pierre de Vérone, surnommé « saint Pierre Martyr », l'une des canonisations les plus rapides de tous les temps (un an).
Les succès de l'Inquisition en vinrent à gêner les autorités, civiles comme ecclésiastiques : la machine s'emballait, les inquisiteurs étaient de moins en moins contrôlables. Innocent IV par exemple tenta de rétablir sa tutelle sur eux, plaçant ceux de la région d'Agen sous le contrôle de l'évêque du diocèse, en 1248. Outrés, les juges dominicains se démirent. Il y eut aussi des rivalités entre les deux ordres mendiants, à un point tel qu'en 1266 le pape dut intervenir. Malgré tout, l'Inquisition sortit victorieuse de son bras de fer avec la papauté : les juges obtinrent le droit de se relever mutuellement de l'excommunication, et de ne plus être contrôlables par les légats pontificaux. Sous Urbain II, l'Inquisition atteignit son pinacle : elle avait des antennes partout et était libre de ses mouvements.
Elle commence en 1480 avant la fin de la reconquista, après que le pape Sixte IV autorise en 1478 Ferdinand et Isabelle à engager 3 évêques ayant un pouvoir juridique total sur les hérétiques. Isabelle la Catholique refuse l'intervention d'un légat du Pape dans les affaires intérieures de l'Espagne, mais face au accusations de poursuivre la pratique du judaïsme, portées à l'encontre des marranes conversos, des juifs convertis depuis le XIIIeS, présents dans les hautes sphères de la société, ces derniers exigent de pouvoir prouver leur bonne foi devant un tribunal compétent. Les ambassadeurs espagnols à Rome font alors pression pour obtenir l'inquisition. Le pape accepte à contrecœur, ne pouvant ainsi contrôler cette institution. L'inquisition donc ne visait pas les juifs mais bien ceux des 'nouveaux chrétiens' dont la conversion n'était pas sincère. Le 17 septembre 1480 les premiers inquisiteurs dominicains sont nommés par l'état: Miguel de Morillo et Juan de St Martin. Ils prirent leur fonction à Séville où la communauté marrane menacée échoua dans une tentative d'insurrection, 6 personnes furent brûlés vives. L'inquisition débuta ainsi sa longue carrière. Les humiliations et persécutions incessantes menées contre les hérétiques par les inquisiteurs étaient loin d'être toujours désintéressées. En effet lors des confiscations de biens, qui frappaient non seulement les "coupables", mais aussi toute leur famille, le Saint-Office perçut une part de plus en plus élevée, pouvant atteindre 80% du produit des biens saisis. Ainsi il leur arrivait de déterrer des morts pour un procès au terme duquel les os étaient brûlés et les biens du défunt transférés. Certains juifs accusés de ne pas avoir dénoncé des conversos seront tués par l'inquisition. Certains membres du clergé tomberont eux aussi sous les accusations.
La communauté juive très réduite par les massacres et les conversions vit pendant ce temps sous une législation sévère, mais ne représente plus d'intérêt économique pour l'état. Les juifs étaient considérés comme des étrangers par les Rois catholiques qui voulaient asseoir leur double monarchie (Castille et Aragon) sur l'unité et la pureté de foi. Le 30 mars 1492, année où le dernier bastion maure (le Royaume de Grenade) tomba, aboutissement de la Reconquista, Isabelle et Ferdinand promulguent un édit, exigeant que les juifs se convertissent au Catholicisme ou quittent le pays; une règle similaire concernant les Maures fut ensuite établie. Beaucoup quittèrent l'Espagne perdant leurs biens, pour aller s'établir en Italie, dans les possessions musulmanes et au Portugal. D'autres préférèrent rester et se faire baptiser à la hâte.
La charge de travail devenant trop importante pour Séville, le 11 février 1482 de nouveaux inquisiteurs sont nommés, et parmi eux le plus tristement célèbre: Tomás de Torquemada le confesseur personnel de la reine Isabelle. En 1483 le 'conseil de l'Inquisition suprême et général’ la Suprema est créé pour superviser les tribunaux de Castille et de Leon. Torquemada en devient le chef de 1481 à 1498. Ses pouvoirs s'étendent sur l'Aragon la Catalogne et Valence. Les évêques de Séville et de Calahorra tombent sous les accusations de la Suprema. En 1485 le tribunal est transféré à Tolède.
Le coût élevé de l'entretien des hérétiques emprisonnés à vie poussa Torquemada à créer de grands centres pénitenciers. Ceux-ci avaient pour vocation de redonner une activité aux prisonniers en lien avec leur ancienne profession. Le produit servait ensuite à l'Église ou était revendu. Ces prisonniers à perpétuité enduraient en fait la peine du strictus murus, ou « mur étroit » et ne devaient en théorie jamais sortir du cachot (cf. ci-dessus). En dix-sept ans d'activité, le nombre de condamnations prononcées par le tribunal inquisitorial de Tolède sous la tutelle de Torquemada se révéla important : 10 220 brûlés vifs, 6 840 égorgés et brûlés, 65 271 suppliciés et morts au cachot, 12 340 pendus, 19 760 condamnés aux galères à perpétuité, soit un total de 114 431 condamnations à des peines lourdes. Toutefois, même si la saisie systématique des biens des condamnés produisit un montant faramineux, Torquemada ne céda pas personnellement à la tentation de la richesse ou du luxe, et resta toute sa vie en accord avec la rigueur monacale de son ordre. Mais il utilisa les dépouilles de ses victimes pour enrichir l'Eglise et étendre son emprise, par la fondation ou la rénovation d'édifices religieux, ou encore par des donations aux œuvres de charité gérées par celle-ci. Son entêtement et son fanatisme le conduisirent à refuser de se démettre, en dépit de son grand âge. C'est l'inquisiteur Diego Deza qui lui succéda.
Les Marranes s'établirent aux Amériques. Mais l'Inquisition avait le bras long, et s'y étant également implantée, les pourchassa comme en Europe. Pourtant certains marranes portugais réfugiés dans la région de Bordeaux finirent par obtenir des souverains français le droit d'y demeurer et revinrent finalement à la religion de leurs ancêtres. Les lieux de refuge les plus sûrs furent les pays protestants: Hollande, Angleterre. Dans les premiers temps, les nouveaux chrétiens, redevenus juifs ou non, furent laissés en paix, dans la limite de certains interdits, tandis qu'en pays musulmans, ils purent s'installer, mais en étant frappés du statut de Dhimmis. Néanmoins en Turquie ils jouèrent un rôle important auprès de Soliman dans sa lutte contre les royaumes chrétiens. L'un d'eux le Duc de Naxos fut le conseiller personnel de Sélim fils de Soliman. Mais du moins lorsqu'ils adoptaient l'Islam, obtinrent-ils, ainsi que leurs descendants, le même statut que les autres musulmans.
L'inquisition prit fin en Espagne officiellement sous Napoléon en 1808, puis fut rétablie en 1814. La dernière victime fut un instituteur déiste pendu à Valence le 26 juillet 1826. L'inquisition espagnole fut abolie définitivement par la reine Marie-Christine en 1834, et la «limpieza de la sangre» (la pureté du sang) le 13 mai 1865.
Les successeurs de Torquemada mirent sur pied, en Espagne puis au Portugal, une structure de surveillance systématique et de délation généralisée, non seulement à l'encontre des convertis, mais aussi de leurs descendants, et de tous les chrétiens d'ascendance même très partiellement juive, baptisés "Nouveaux chrétiens". C'est l'âge d'or de l'Inquisition. A partir de 1525 les tribunaux se tournent vers les maures qui comme les marranes pratiquent en secret l'islam, les morisques. Puis ils s'intéressent aux protestants, et aux délits divers tels que la bigamie. La sorcellerie contrairement aux autres pays du XVIIeS et XVIIIeS mobilise peu l'Inquisition. Mais l'attention principale était toujours concentrée sur les personnes accusées de judaïser.
A partir de 1535 l'Inquisition délivra des "certificats de limpidité de sang" aux personnes ne possédant pas d'ancêtre juif ou musulman. Ces certificats furent non seulement exigés pour l'accès à l'armée, aux charges du St Office, l'entrée des universités, mais aussi demandées par les familles à la veille des mariages. L'Inquisition devint si puissante et brava parfois si impunément le bras séculier, qu'elle s'attira l'aide de tous ceux qui la craignaient. C'est ainsi qu'elle développa autour d'elle l'institution des "Amis de l'Inquisition". Ceux-ci loin de se cacher, se flattaient avec arrogance de cette appartenance et défilaient annuellement à des parades, notamment à l'occasion des autodafés.
L'inquisition au Portugal est par erreur souvent présentée comme plus débonnaire que celle d'Espagne.
Manuel roi du Portugal épousa l'infante d'Espagne Isabelle le 30 novembre 1496. Le 5 décembre un décret royal donne 10 mois aux juifs et aux musulmans pour quitter le pays. Le roi se ravise et le vendredi 19 mars 1497 ordonne le baptême de tous les enfants du royaume pour le dimanche suivant, ce qui va donner lieu à de terribles scènes. En 1499 Manuel publia un décret interdisant aux nouveaux chrétiens de quitter le pays. L'Inquisition devint officielle avec la nomination de Diogo da Silca, confesseur de Manuel, comme inquisiteur général en décembre 1531. Mais des 'nouveaux chrétiens' influents réussirent à la faire suspendre. Charles Quint pesa de tout son poids pour qu'une inquisition à l'espagnole soit rétablie. La décision fut prise le 23 mai 1536 sous le pontificat de Paul III. Mais les marranes réussirent encore par de multiples rebondissements et tractations avec le Pape à restreindre les pouvoirs du Saint-Office et même à le suspendre en 1544. Malgré tout, en 1547 l'Inquisition fut formellement établie. Les marranes se battirent une dernière fois sur la question du pouvoir de confiscation. Cette arme fut finalement concédée aux tribunaux et le Portugal se dota ainsi d'une inquisition indépendante plus terrible encore que son modèle espagnol. En effet, la conversion y fut imposée à tous les juifs et non assortie, comme en Espagne, de la possibilité d'émigrer. Par conséquent tous les "nouveaux chrétiens" y furent les descendants d'une conversion forcée, et les tentatives de fuite de marranes vers l'extérieur y furent proportionnellement plus importantes qu'en Espagne. L'Inquisition fut si dure au Portugal qu'un certain nombre de "nouveaux chrétiens" portugais allèrent même jusqu'à tenter de se réfugier...en Espagne.
La dernière victime sera un prêtre jésuite, Gabriel Malagrida, brûlé à Lisbonne en septembre 1761. En 1771, interdiction des autodafés publics. En 1773 toute différence entre ancien et nouveau chrétien est abolie. L'Inquisition s'arrêta définitivement en 1778.
Le pouvoir de l'Inquisition devint par trop dangereux : le 22 janvier 1588, Sixte V la réforma en réorganisant la curie. Saint Pie X la réforme à son tour le 29 juin 1908 et lui donne le nom de « Sacrée congrégation du Saint-Office ». Enfin, la réforme du 7 décembre 1967, Paul VI lui donne son nom actuel de « Congrégation pour la Doctrine de la foi ».